RAPPORTS ANNUELS

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Rapport annuel 2020 - Pour un multilatéralisme rénové

Publication du Rapport annuel 2020 « Pour un multilatéralisme rénové » des Leaders pour la Paix présenté lors de la conférence annuelle par Monsieur l'Ambassadeur Pierre VIMONT, Rapporteur général.

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Quai d’Orsay, le 14 mai 2019

 

Monsieur le Premier ministre, Cher Jean-Pierre Raffarin,

Madame la Présidente de la Fondation Chirac,

Monsieur le Président de la Fondation Cartier,

Excellences, Mesdames, Messieurs,

 

Je souhaite tout d’abord exprimer ma reconnaissance à la Fondation Cartier et à la Fondation Chirac pour leur implication dans la paix, un idéal qui nous échappe de plus en plus dans le monde dans lequel nous vivons.

Je suis heureuse, Monsieur Raffarin, de participer à ce « Laboratoire de la paix ». (Je pense qu’on peut le dire en français, n’est-ce pas ?).

Tout ce que je vais vous dire, la plupart d’entre vous le savez déjà. Je vois beaucoup de visages qui me sont familiers, des personnalités que j’ai connues dans le contexte de la recherche de la paix, aussi bien dans le cadre de mes anciennes fonctions en tant que ministre des affaires étrangères, que par ma participation à différents forums. Des amis avec lesquels j’ai cheminé, que ce soit au Conseil de Munich sur la Sécurité ou au Forum d’Abou Dabi. Alors que j’étais étudiante aux États unis, j’ai participé pendant très longtemps, auprès de l’ambassadeur Swanee Hunt, à Women waging peace. Je suis aussi membre de la Fondation de Tana, en Éthiopie, sur la sécurité. C’est donc un sujet auquel je ne peux pas échapper. Heureusement, d’ailleurs !

Je suis aujourd’hui Secrétaire générale de la Francophonie : 88 États et gouvernements membres dont plusieurs, surtout, nos pays du Sud, ont grand besoin de paix. La recherche et l’établissement d’une paix durable, d’espaces politiques et sociaux sains, fait partie du mandat de la Francophonie. Je suis donc vraiment au cœur de ce sujet. Encore une fois, un grand merci de m’avoir associée à cette discussion sur « Femmes et paix ».

La recherche de la paix est un sujet que j’ai abordé en théorie et en pratique. Je viens d’un pays, le Rwanda, où la femme est au centre de la paix. Il y a 25 ans, ce pays était anéanti. Aujourd’hui, il est plein d’espoir et d’ambition, et il avance vers la prospérité. Je dois vous dire, – et j’en ai été témoin -, que le Rwanda s’est relevé en grande partie, grâce et à cause des femmes. C’est pour cette raison que 61% des membres du parlement sont des femmes, que le Conseil des ministres comporte 50% de femmes, que beaucoup de femmes sont présentes à très haut niveau dans le secteur privé et des affaires. Mais surtout, ce qui me fait très chaud au cœur, et cela ne concerne pas que le Rwanda mais l’ensemble de mon continent, l’Afrique, c’est que les femmes agissent au quotidien pour la paix dans tous nos villages, dans toutes nos collines, souvent au risque de leur propre vie. Ce sont des femmes qui n’auront jamais l’occasion de parler à une assemblée aussi illustre que celle d’aujourd’hui et je veux leur rendre hommage. Leurs maris, leurs fils, leurs voisins sont quelque part au combat, mais ce sont elles qui reçoivent les coups, et qui comprennent ensuite le rôle qu’elles ont à jouer pour reconstruire la société. Ce sont là des pratiques que j’ai vues et que j’ai vécues.

J’ai également participé à beaucoup de tables rondes sur la paix et j’ai la ferme conviction, Monsieur le Premier Ministre, que les femmes sont transformatrices de sociétés. Il faut que les pays, les nations, comprennent qu’au-delà des politiques, des textes, des quotas, l’implication active, réelle de la femme, est le meilleur chemin vers la paix.

Ma première mission en tant que Ministre des Affaires étrangères du Rwanda, a consisté à trouver une issue au conflit frontalier avec la République démocratique du Congo (RDC). J’avais été mandatée pour discuter du retour des otages des groupes génocidaires, hommes, femmes et enfants. Il n’est pas impossible que certaines de ces personnes aient été impliquées dans le massacre de ma propre famille. Une paix durable coûte cher : ce n’est pas qu’une affaire de traité, mais surtout, d’effort, de conscience, de main tendue et de sacrifice. Je connais très bien, chère lauréate du Prix Chirac, Colombo, et le conflit des Tamouls. Les femmes du Sri Lanka que j’ai rencontrées sont des femmes fortes, solidement engagées !

C’est cette même perspective que j’entends privilégier en tant que Secrétaire générale de la Francophonie : aller vers le terrain, voir exactement ce qui se passe. Nous devons nous assurer que tous les travaux internationaux assurent aux femmes une place autour de la table. Nous devons nous assurer aussi que les réseaux de femmes aient une dimension régionale car les conflits actuels sont transfrontaliers : sans paix chez nos voisins ; pas de paix chez nous.

Je représente aujourd’hui l’espace francophone. Beaucoup d’entre nous savent que les travaux du Conseil de sécurité, que j’ai suivis de près quand le Rwanda en était membre non permanent en 2013-2014, concernent surtout l’Afrique. Je pense d’ailleurs que c’est à juste titre que les « leaders pour la paix » ont choisi cette année de mettre en lumière la crise du Sahel dont l’épicentre est situé dans cinq de nos pays membres avec des répercussions importantes dans plusieurs autres. Quand on parle de paix au Sahel, on ne parle pas d’un seul pays. Le travail des femmes en réseau est essentiel pour créer un espace de paix pérenne qui ne se limite pas aux frontières des pays.

Une fois que nous nous serons assurés de la présence des femmes sont autour de la table, nous qui sommes ici, Monsieur le Premier ministre, Madame la Présidente de la Fondation Chirac, nous devons plaider pour que leurs propositions ne soient pas considérées comme accessoires dans les discussions de paix. Ce plaidoyer, il nous faut le porter aux niveaux national et multilatéral, afin de convaincre tous les acteurs de l’importance de l’appui à la femme dans les processus de paix.

Il va sans dire que les femmes sont les principales victimes des conflits. Mais j’aimerais beaucoup que l’on ne voie pas la femme que dans ce rôle-là de victime. C’est pratiquement le seul rôle que leur reconnaît la presse : on parle tous les jours des victimes femmes et enfants… C’est très important de ne pas toujours montrer les femmes comme des victimes. La femme est victime, mais elle est aussi, et surtout, actrice de paix et de changement.

J’aime beaucoup raconter une histoire de vie et de réalité qui s’est déroulée trois ou quatre après le génocide dans mon pays il y a 25 ans. C’était une période très difficile, d’incursions des forces génocidaires qui revenaient au Rwanda de la RDC voisine. Les femmes du Nord du pays avaient décidé qu’elles allaient dénoncer à la police et à l’armée leurs fils qui, le jour, se cachaient chez elles et, la nuit, se livraient à des attaques meurtrières. En groupe, elles sont allées voir les autorités pour dénoncer leurs propres enfants, préférant les voir en prison que morts. L’action de ces femmes a sauvé le pays et évité probablement une guerre entre les deux pays. Ces femmes finalement ont été les grandes actrices de la paix dans cette région très complexe. Leurs enfants, souvent jeunes, souvent manipulés, ont bénéficié plus tard d’une amnistie et ont été pour la plupart relâchés. C’est difficile pour une mère de dénoncer son enfants. Toute la nation leur en a été reconnaissante : les femmes ont choisi la paix, non pas pour elles ou pour leurs familles, mais pour leur pays. C’est une histoire magnifique.

À la Francophonie, où je suis en fonction depuis 4 mois, nous sommes déjà très impliqués dans des actions en faveur de la paix. Nous allons beaucoup nous impliquer dans la région du Sahel. La lauréate nous a parlé des drames au Sri Lanka. Dans l’espace du Sahel – et c’est un sujet qui nous parle aujourd’hui, à Paris -, il y a des drames presque tous les jours, au Burkina Faso, au Mali, au Niger, au Bénin, États membres de notre Organisation. C’est une région prioritaire pour nous.

Nous prenons part aux discussions internationales à Genève, à New York, à Bruxelles…, et notre message est toujours le même : « Assurez-vous que les femmes qui viennent du terrain participent aux discussions et soient écoutées. Les femmes vous diront où il faut agir ».

Je suis convaincue que toutes les femmes ont leur place dans le continuum de la paix. C’est la réalité du monde d’aujourd’hui : la femme a un rôle important à jouer en matière de prévention et de pérennisation de la paix. L’éducation à la paix est fondamentale et elle doit commencer dans les foyers.

J’aime beaucoup l’idée de « laboratoire de la paix », car il reste beaucoup à faire, à expérimenter autour d’un sujet pour lequel il n’existe pas de formule définie. Je propose donc que vous partagiez avec nous les propositions qui sortiront des six tables rondes d’aujourd’hui. Nous pourrons à notre tour en tenir compte et les diffuser dans l’espace francophone. Les bonnes pratiques que vous aurez partagées pourront enrichir nos actions.

La Francophonie reste un allié très important de ce « Laboratoire » et des nobles actions que vous menez. Je vous le dis à titre personnel, comme au nom de l’OIF et de l’espace francophone.

Je vous remercie.